Concours d’éloquence Sopra Steria Next

 

Le concours d'éloquence Sopra Steria Next

Sopra Steria Next ouvre le débat : les participants choisissent librement leur sujet de plaidoirie pour défendre une approche éthique du numérique ou dénoncer une atteinte aux principes éthiques.

Les gagnants du concours remportent l'un des Trophées d'éloquence à la suite du vote d'un jury et du public.

Consultez le règlement

Qu’est-ce que l’éthique numérique ?

L’éthique numérique englobe l’ensemble des principes et valeurs liés au cycle de vie et aux effets de la transformation digitale et des technologies numériques, qu’il s’agisse par exemple des impacts sociétaux et environnementaux, de la protection des données personnelles et du libre arbitre des individus, du principe de non-discrimination, etc.

Comment, pour les entreprises et les pouvoirs publics, envisager la transformation digitale sans embrasser aussi sa dimension éthique ?
Le développement économique des entreprises ne peut plus se construire sans prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux. Sopra Steria next souhaite s’engager sur l’éthique numérique afin de promouvoir des stratégies de transformation digitale responsables, humaines et durables.

En savoir plus sur le thème

Retour sur l'édition 2022-2023

Bravo aux lauréats et finalistes du concours d’éloquence 2022-2023 sur le thème de l’éthique numérique.

Tia Chaumeret - Sa devise : "6h34"

Concours Eloquence 2023 – TIA CHAUMERET

6h34. Votre réveil sonne. Vous l'aviez programmé plus tard ? Peu importe, votre chef a dû planifier une réunion. Ça arrive. 6h48. Baigné, lavé, votre armoire vous propose une tenue : manteau gris et écharpe noire. Il doit faire mauvais, vous verrez en sortant. 7h00. Une notification s'affiche sur vos lunettes. Vous ne pouvez pas sortir.

« Air pollué », disent-ils. Un drone a encore dû dysfonctionner. Les yeux dans le vague, vous balayez la notification d'un revers de regard. C'est la huitième ce mois-ci. Vous jurez pourtant avoir réparé le système. À ce moment précis de mon discours, chers internautes, vous dites sûrement que ce récit, car trop dystopique, ne peut être prospectif. Que l'éthique, quel beau mot, quel grand mot, nous arrêtera avant que ce discours ne devienne réalité. Et pourtant, chers internautes, j'aimerais vous inviter à reprendre ce récit exactement où nous l'avons laissé, à ce moment précis où, cloîtrés dans votre 9m2, vous vous installez dans votre cabine sécurisée. Tous les employés y ont droit maintenant. Reconnaissance corporelle activée, profil analysé, réunion lancée dans trois, deux, un…

Vous souriez. Le siège n'a pas encore remarqué vos deux kilos en trop. Il vous l'avait pourtant signalé l'année dernière. 9h18. Vous divaguez. La réunion vous paraît être un lointain bourdonnement. Vous saisissez quelques phrases au vol : « énergie des datacenters perdue », « système de sécurité gouvernemental bloqué », « bourse de Tesla en chute ». La voiture autonome a causé plus de 10 000 morts cette année. »

10h42. Votre chef vous rappelle à l'ordre. C'est à vous de penser. Vous fermez les yeux, visualisez les images, les envoyez. Ne pas avoir de pensées parasites. N'ayez surtout pas de pensées parasites. Vous commencez.  Le taux de suicide des gendarmes du métavers a augmenté de plus de 18 % depuis le dernier bug du système central de sécurité virtuelle.

Nous recommandons un effacement de la mémoire de tous les concernés de la période du 18 juin, 12h13 au 24 juin, 7h12. Les traumatismes seront ainsi entérinés. Vive la manipula… ! Vous vous arrêtez en espérant que le modérateur de pensée n'ait pas retranscrit ce que vous venez de vous dire. Il est plutôt bon, en général.

12h30 La cabine s'éteint. Un plat sort du four. Étrange, la portion est réduite. Vous repensez à vos deux kilos en trop. Le siège a dû finalement les remarquer et envoyer l'information en cuisine, Ils deviennent retors. Fichue technologie.

13h30 Vous entendez un déclic. La porte est déverrouillée. L'interdiction de sortie doit être levée. 13h32 La rue est calme. Vous levez les yeux pour observer les voitures des plus riches. Le trafic aérien sera peut-être un jour accessible à tous. En bas, les conducteurs vocifèrent. Une voiture autonome a encore percuté un vélo. Demain, ce sera oublié.

De toute façon, ce n'est la faute de personne. Personne ne conduit. 14h02. Vous arpentez les couloirs de l'entreprise, obnubilés par leur bulle cognitive, vos collègues ne vous voient pas. Il faut avouer que vous êtes les seuls à avoir refusé l'installation de la puce sociale. Vous les observez, l’un d’entre eux vous sourit, vous lui rendez son sourire avant de vous apercevoir que c'était pour une application.

Zut. Vous croyiez avoir une touche ? Vous perdez la notion du temps. Data. Statistique. Hive-mind. Circle. Lumen. PIB. Chute. Déclin. Réhausse. Vous triez, classez, arrangez, engrangez les données de chaque utilisateur. Profil Z4466B. Data analyst. Temps passé devant les écrans : 8h46 par jour. Classé : moyenne basse. Note de citoyenneté : 6/10. Rehaussée pour avoir remercié un utilisateur sur Net Bloom.

18h. Votre montre sonne. Vous vous levez, prenez vos affaires, faites le chemin inverse. Votre montre continue de sonner. Une notification s'affiche : « trouble émotionnel diagnostiqué ». Vous enlevez vos lunettes connectées. La sonnerie continue. Vous voulez que ça cesse. La sonnerie continue. Vous voulez retourner dans le monde d'avant. Ça sonne, encore et encore. Alarme interne activée. Effacement des données imminent.

98 %. 99 %. 6h34. Votre réveil sonne. Vous l’aviez programmé plus tard ? Peu importe, votre chef a dû planifier une réunion. Ça arrive, ça arrive. Dans ce monde numérique aux 1000 visages, qui peut nous piéger dans ses nombreux ravages, chers internautes, il nous offre la gloire et le plaisir, mais peut nous entraîner dans des abysses à fuir. Méfions-nous donc de ces écrans qui nous entourent et rappelons-nous que notre liberté n'a ni de prix, ni de cours.

Restons vigilants, gardons les pieds sur terre pour éviter de tomber dans les pièges de cette sphère.

Lisa GUILLARD - Sa devise : Où sont les femmes ?

Concours Eloquence 2023 - Lisa GUILLARD
Sa devise : Où sont les femmes ?

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, nous dit que la fracture numérique entre les sexes est le reflet de la discrimination générale à laquelle sont confrontées les femmes. D'abord à l'école, les maths et les sciences, elles en sont écartées, les femmes. Ensuite, lors des entretiens d'embauche, elles sont davantage interrompues et questionnées, les femmes. Enfin, une fois en poste, elles se heurtent à un faible soutien managérial, un manque d'équilibre des temps de vie, un manque d'opportunités de carrière et au sexisme de certains de leurs collaborateurs, les femmes. Ça fait rêver ? Ajoutez à ce processus déjà fort délétère, le manque de légitimité que ressentent les femmes tout au long de leur vie, au travers du regard des autres, au travers des injonctions de la société où nous faisons face à un système, un ensemble dont les éléments sont coordonnés par une loi, une théorie : les femmes seraient moins compétentes que les hommes.

On ne peut alors s'étonner que seul un travailleur sur cinq dans le secteur soit une femme. On ne peut alors s'étonner que ce tuyau percé assoiffe notre jardin nourricier d'une diversité pourtant nécessaire à l'innovation, tout en l’irriguant de conséquences délétères. Parmi ces mauvaises herbes, pour ne vous en citer qu’une, des technologies créées par les hommes pour les hommes. La reconnaissance faciale et vocale est moins efficace pour les femmes que les hommes, du simple fait que les logiciels sont entraînés sur la base de reconnaissance de données majoritairement masculines. Ça vous semble anecdotique ? Et si je vous dis que cette même logique est appliquée au secteur de la santé, et à la détection des AVC notamment. Comme le soutient la cardiologue Nieca Goldberg dans son livre “Women Are Not Small Men”, la physiologie des attaques cardiaques est différente chez les hommes et chez les femmes. Bien que les signes et symptômes ne soient pas les mêmes chez les deux sexes, je vous laisse deviner sur lesquels s'appuient les technologies de détection des AVC. Surprise générale. Non, une technologie basée sur des données majoritairement masculines n'est pas, et ne peut pas, être optimale pour les femmes.

Alors, voulons-nous de cette logique dans les technologies de demain ? Voulons-nous continuer à faire fi de la moitié de l'humanité ? Mesdames, Messieurs, quand bien même vos entreprises continueraient à vendre, vos profits en seraient amoindris, votre image détériorée, votre capacité d'innovation atténuée ? Alors agissez, car il n’existe aucune fatalité ici. Votre salut tient en grande partie à votre capacité à organiser la diversité des équipes afin que s'opère la collégialité. Car oui, arrêter de cultiver l'entre-soi masculin dans ce secteur, c'est créer une vraie diversité des points de vue et des idées. C'est s'inscrire dans un cadre innovant et disruptif. C'est donner naissance à des valeurs humaines fortes et éthiques.

Entreprises du numérique, sur de tels sujets, nous nous devons d'avoir un temps d'avance. Nous nous devons d'assumer la responsabilité sociétale que nous portons. Nous nous devons de passer à l'action. Et si nous souhaitons une révolution sans tête coupée, ne nous contentons pas des quotas et autres réglementations.

Mesdames, messieurs, je suis fière d'être une femme qui travaille dans le secteur du numérique et je suis fière de pouvoir porter mes convictions devant vous aujourd'hui. Alors où sont les autres femmes ?

Kurt Martial Amouzou - Sa devise : "Cogitare"

Concours Eloquence  2023 - Kurt Martial Amouzou 

CO GI TA RE, une pensée vous vient à l'esprit. Un souvenir peut-être, une impression de déjà-entendu. Oui. Cogito ergo sum. En français : je pense donc je suis. Le verbe de cette phrase, cogitare, est un verbe latin qui est bien souvent reconnu à sa forme conjuguée à la première personne du présent, cogito, et popularisé par un homme qui marqua son temps, Descartes. 

Étymologiquement, ce verbe ne se limite pas pourtant au simple fait de penser. Premièrement, il signifie réfléchir et désigne l'action humaine de réfléchir, toujours profonde et trop imparfaite. Secondement, il désigne le fait d'être obligé envers quelque chose ou envers quelqu'un. En somme, cogitare désigne l'action d'utiliser notre conscience. Il est ainsi, selon moi, la lentille parfaite sur laquelle nous pouvons observer les problèmes de notre époque, les magnifier puis les résoudre, surtout en ce qui concerne l'éthique numérique.

Effectivement, Mesdames et Messieurs, le cogitare est la clé pour toute personne qui se donne pour mission de construire un impact positif pour tous dans la transformation digitale. La piste du cogitare est, d'une part objective car liée à notre humanité à tous et de l'autre subjective car liée à notre conscience et nos actions personnelles. Mesdames et Messieurs, honorables membres du jury, chers téléspectateurs, qui me regardez derrière votre écran, partons d'une suite d'événements qui fait l'actualité.

La course à l’IA, la démultiplication des exemples et des domaines d'utilisation de l'intelligence artificielle fait qu'aujourd'hui, elles sont partout. Un coup d'œil vers l'actualité vous apprend que les IA disent tout, imitent bien et surtout en font toujours plus. D'une simple conversation à l'écriture d'un roman à sensation, de la composition d'une œuvre artistique à celle d'une vidéo qui défie même les frontières de la réalité, les IA font tout et toujours plus.

Leur place est si prédominante qu'aujourd'hui tout le monde en veut une. Du simple consommateur au géant de la tech, de la société à un producteur ou fournisseur de services, tout le monde veut une IA, de Google à la mairie de Paris. C'est notre nouvel outil préféré. Pour nous, leurs créateurs s’élancent si vite et si bien vers de nouveaux horizons que les limites entre l'humain et l'artificiel deviennent floues.

Un dilemme se pose alors, de nouvelles questions sur l'éthique numérique naissent. La désinformation, l'éthique vis à vis de la consommation d'œuvres artistiques produites artificiellement. De nombreuses questions viennent. Le problème est posé, le décor aussi, mais la solution l'est également et cela devant vous depuis bien longtemps. Votre conscience. Objectivement d'abord, Mesdames et Messieurs, le doute est ce qui fonde la frontière que nous n'arrivons plus à voir entre l'humain et l'artificiel. N'étant pas une suite d'informations, les mystères de notre création nous ont dotés d'une capacité impressionnante à douter. Nous doutons de tout, y compris de notre propre existence. Et c'est ce doute, précisément, qui est, selon Descartes, la preuve de notre existence. Alors, il faut revenir au cogitare, à notre petite machine à douter. Car le doute fonde effectivement la frontière claire entre l'humain et l'artificiel.

Mais sa solution se trouve dans notre conscience et dans son utilisation subjective et parfaite. S'attacher au cogitare nous donne une vision plus empathique de la vie. Bien souvent créés par notre manque d'empathie, les problèmes créés par l'utilisation des intelligences artificielles aujourd'hui peuvent être résolus par notre retour à une utilisation extensive et profonde de notre conscience, surtout lorsque nous nous apprêtons à agir face à nos congénères.

Dois-je publier cette vidéo d'un politicien dans une situation compromettante et contraire à ses valeurs ? Est-ce éthique de posséder une vidéo compromettante représentant une personne de notre entourage ? Nous devons revenir à notre conscience. Nous devons nous attacher à notre humanité. Cet objectif que vous vous êtes donné, ici à Sopra Steria, peut être accompli à travers le cogitare, car c'est le doute et l'utilisation de notre conscience qui fonde l'humanité et qui nous a menés aussi loin.

Le doute de l'étudiant, face aux lois établies que lui enseigne son professeur, est ce qui fait le chercheur de demain. Le doute de l'artiste, qui efface et recrée son trait, est ce qui fait les grandes Œuvres. Le doute du consultant, quand il pique son idée audacieuse, est ce qui crée le monde de demain. Alors nous devons revenir à notre conscience, Mesdames et Messieurs.

Notre objectif est, et doit être, de créer un impact positif pour tous dans la transformation digitale. La révolution numérique peut être positive. Alors revenons au cogitare. Revenons à notre conscience. Un échange d'opinions, une réflexion profonde, telle que celle que nous menons tous ensemble aujourd'hui, est ce qui nous permettra de donner à la révolution numérique un impact positif et humain.

En somme, cogitons.

Juliette Fey - Sa devise : "Avec le numérique, sommes-nous vraiment « connectés » aux autres ?"

CONCOURS ELOQUENCE 2023 – JULIETTE FEY 

J'ai sept ans. Pas toutes mes dents. Nous sommes en 2006. Je viens de recevoir mon premier téléphone portable. Ô joie, Ô allégresse ! On n'arrête pas le progrès. Fière de mon nouvel engin et prise d'un enthousiasme sans borne, j'explore les facettes de ce bijou de technologie. Tout me paraît nouveau et révolutionnaire. Avec ce bel outil, je peux rentrer seul de l'école. S'il m'arrive le moindre problème, mes parents savent que je peux les appeler. Nous voilà rassurés, liés, connectés. J'ai quatorze ans. Presque toutes mes dents. Nous sommes en 2013. Le monde a bien changé et c'est tout un ordinateur que je tiens dans ma poche. Une infinité de conversations, de photos et d'applications, une corne d'abondance qui contrecarre, solitude et ennui. Loin de mon petit portable à clapet, j'ai suivi la révolution. Je suis maintenant sur Instagram, Facebook, Twitter. Ma pellicule regorge de selfies et de photos de gens, d'endroits, de choses. Et dans cette abondance, qui paraît infinie, je me sens inexorablement seule. 

Ah Facebook, lieu d'échange où, depuis l'âge de mes dix ans, je reçois des messages de cinquantenaires à la recherche de menu fretin et où l'année de mes 14 ans, je me fais copieusement moquée et insultée par mes camarades. Des photos de moi, dénudée, ont été postées sur les conversations Facebook du collège. Ô joie, Ô allégresse, nous sommes tous connectés. Nous regardons tous ensemble dans la même direction. En l'occurrence, mes fesses. Grâce au numérique, nous sommes tous en contact. Mais sommes-nous pour autant connectés ? Ces personnes qui relayaient mon désespoir et qui s’en délectaient, étaient-elles connectées à ma réalité ? Quoi que l'on pense du contrat social, sur le web, l'homme est un internaute pour l'homme. Il est aisé de déshumaniser quand tout ce que l'on perçoit est un médium pixellisé. Bien entendu, Internet n'est pas sans vertu. Un avatar numérique, avec lequel on communique sans révéler notre propre identité physique, permet de surmonter bien des obstacles. Disgracieux, peu charismatique, isolé socialement. Internet vous permet d'écrire au monde. Fi des distances, de l'entre-gens, de l'apparence et de tous ces fardeaux qui font que, dans la vraie vie, personne ne vous écoute. Voilà une occasion de vous exprimer. Que quelqu'un reçoive votre bouteille à jeter à la mer. Mais quelle mer ! La placidité cruelle de l'onde lorsque personne ne daigne lâcher un like. Le courroux des flots des lames incendiaires qui viennent s'écraser contre un tweet un peu trop clivant. Le tumulte des flots qui relaient sans cesse des mots, des phrases, des photos qui nous étouffent et qui nous noient sous une foule de choses hors de notre contrôle. 

Nos outils numériques font naître autant d'interconnexions que possible entre des personnes qui ne se seraient jamais adressées la parole. Mais, sans un effort sincère de conscientisation, l'Autre sur Internet est radicalement autre. Il n'a pas d'émotion. Il est un texte, une image, un nom. Comment revendiquer une éthique ou un vivre ensemble lorsque rien n'est réellement vivant ? Produits dérivés de l'abondance de contenus et de la nécessité de se distinguer. Le règne des images a vite repris ses droits. L'apparence, d'abord dissimulée par les avatars, est maintenant ce qui importe. Il faut se mettre en scène avant tout. Il s'agit de se faire remarquer. Le sensationnel, le choquant font loi. J'ai vu, enfant, comme d'autres après moi, un nombre incalculable de vidéos de personnes qui décèdent en direct. Une masse ignoble de divertissements aux tendances inquiétantes, une foule de théories du complot qui se fondent sur presque rien mais nous interpellent presque tous. Et cette abondance de liens en tous genres et d'extrapolations nous déconnecte les uns des autres, comme de la réalité. Et, petit à petit, dans leur chambre d'écho, les internautes s'enferment. Ils s'évertuent à consommer ou à attaquer le reste des avatars, ces autres, ces choses, ces ignares. Certains s'aventurent même à créer du faux contenu pour représenter à leur place les membres d'une communauté de façon ridicule.

Cercle vicieux et clou de ce spectacle, quel scrupule aurait-on à attaquer une devanture lorsqu'on croit que personne ne se tient derrière ? Pourquoi s'inquièterait-on des pleurs de Bogossdu92 ? Ainsi, le piège se referme. À mesure qu'on se représente pour mieux se protéger, pour mieux se faire entendre, on s'expose à la hargne de ceux qui exècrent toutes nos facéties. Mais lorsque 80 % de la population française est active sur les réseaux, quand certains passent plus de la moitié de la journée les yeux rivés sur l'écran, le virtuel s'incarne et heurte au-delà de l'image. Nous avons le pouvoir de faire en sorte que l'anonymat ne se résume pas à l'inconséquence, mais qu'au contraire, il représente la réinvention de soi-même.

Pour que cette communauté numérique soit, effectivement, commune, il nous faut une éthique, un code de conduite. Lorsque le numérique nous offre une liberté absolue, c'est à nous d'adopter une éthique plus que résolue afin que, grâce au virtuel, on fasse avancer le réel.

Nahia Aboubakar - Sa devise : "Existe-t-il une éthique numérique sans dimension sociale ?"

CONCOURS ELOQUENCE 2023 - NAHIA ABOUBAKAR

2014, treize ans et entre les mains quelque chose dont je ne présentais pas la nature, mais qui pouvait changer le cours de mon existence. Un téléphone, une ouverture au monde, avec tout ce qu'il a de plus profond, précieux et pervers à offrir. Aujourd'hui, peut être que mes parents regrettent la décision qu'ils ont prise en cet été de 2014.

Inlassablement, nos priorités changent, le fragile, le précieux, l'enfant grandit et avec lui ce qui est, ou non, à protéger. Pourtant, des décennies durant, nous avons consacré le droit de propriété comme étant le premier des droits. C'est ainsi que la morale est entrée dans l'équation en affirmant que personne ne peut être dépossédé de ce qui est à soi. Mais la propriété d'hier n'est plus celle d'aujourd'hui.

Nous protégeons nos maisons, nos investissements, notre argent, tout ce que nous pensions avoir de plus cher. À l'heure de la société du numérique, nous ne pouvons aller jusqu'à ignorer qu'il est de choses plus importantes que ce que nous sommes, aller - violences incluses - jusqu'à ignorer l'homme et le monde. Tenez, moi, sur mes appareils électroniques je suis en nom en N, qui traîne des habitudes, des domaines d'intérêt, des préférences.

Je suis fan de jazz, intéressée par la politique et obsédée par l'éloquence, diraient certains. Alors, si l'adage veut que l'information soit la clé de la connaissance, nos informations personnelles sont une mine d'or. Puisqu'elles sont nous, elles incarnent le silence le plus éloquent qui soit. Et en cela, elle constitue les nouvelles propriétés à protéger. Et dans ce clair-obscur où le premier des droits demeure celui de disposer de soi,

Voilà que s'avance, comme pour toute révolution, l'éthique. L'éthique, c'est ce contrat sacré, insaisissable, qui nous enjoint à coexister, comme s'il résidait, battant, au fond de nos cœurs. Comme si, chaque fois que nous choisissions l'éthique, nous donnions forme à une quasi révolution. Alors, si le numérique est devenu une norme, plus encore une habitude présente et ancrée chaque jour, c'est bien parce que, chaque fois que l'offre de soins vient à manquer sur le territoire, c'est la révolution numérique qui permet de la combler. Chaque matin,

c'est la révolution numérique qui nous permet de savoir, par les prévisions météorologiques, quelle journée s'offre à nous. Chaque instant où l'ignorance est reine, c'est la révolution numérique, enfant chéri de l'information, qui féconde la pensée. Alors oui, le numérique est une révolution. Mais l’éthique, c'est la première d'entre elles. Celle-là même qui, unique parmi la création, nous fait basculer de l'état de nature à celui de société.

C'est que, par la force des choses, nous avons appris à évoluer avec les révolutions de nos sociétés, à les maîtriser. Comme toute révolution qui se produit, elle implique le bouleversement des habitudes passées et impose un passage en force d'une force qui, souvent, nous dépasse. Lorsqu'en 1789, le peuple s'est réuni sous un même étendard, il a donné naissance à la première constitution que nous ayons connue.

C'est qu’hier déjà, nous n'avions pas attendu la religion pour avoir de l'humanité. Après la Révolution française, nous avons consacré que, lorsqu'une agitation advient, la morale nous enjoint à recréer le terreau fertile à notre coexistence. Preuve, s'il en fallait, qu'il n’est de révolution sans éthique. Et aujourd'hui n'est donc que l'expression des révolutions d'hier qui auront toutes, inlassablement, leur avenir demain.

Alors, on s'adapte, on vit toujours avec elle, parfois pour elle, malgré elle et, plus rarement, contre elle également. Non pas que ce que le numérique représente soit dommageable. Simplement qu'on ne s'y retrouve pas, qu'il ne nous inclut pas. L'éthique nous dit que pour protéger nos données personnelles, certains ont le droit à l'oubli en raison de notre condition d'homme. Mais que dit-elle à ceux qui ont presque le devoir de ne pas se faire connaître ?

Que dit-elle aux près de 5 millions de Français dépourvus d'appareils électroniques ? Si nous reconnaissons au numérique un caractère substantiel à la vie, quel avenir pour ceux à qui cette révolution ne donne pas voix au chapitre ? Et l'exil, ne faisant pas disparaître les différences, c'est ainsi que ces millions d'entre nous représentent les déshérités de la modernité, les déshérités du genre humain.

Car certes, ouvrir le droit permet, sans aucun doute, d'avoir le choix. Mais se munir de l'éthique chaque jour, comme on agrippe son téléphone, c'est faire en sorte que tout un chacun ait le droit de choisir. Alors, pour les plus connectés, les plus chanceux, l'Agence France Presse communique 50 dépêches d'information par heure, 1900 par jour, relayées ensuite par plus de 20 journaux quotidiens.

Eh oui, ça fait beaucoup, nous sommes d'accord. Mais si nous sommes sans cesse happés sous un flot d'informations et de données, quelle connaissance avons-nous réellement ? Que sais-je, si ce n’est que l’information est perpétuelle d’abord et de surface ensuite ? Et bien, je sais que notre réalité sociale s'effrite, qu'elle brûle et que nous regardons ailleurs. Je sais que le numérique peut nous lier et nous rapprocher comme il nous a déjà failli.

Je sais que nous avançons, main tendue vers la prospective, sans voir que c'est l'avenir qui nous offrira brutalement la sienne. Et sans une once de morale, les médias nous prouvent sans cesse que la vérité se diffuse autant qu'elle se détruit. Alors, n'oubliez pas que derrière l'utilisateur, il est un homme, même quand le sensible n'est pas, l'être humain demeure et l'utilisation du numérique se doit de respecter transparence et vérité.

Certains m’opposeront qu'on ne sait pas où l'on va, que c'est une course effrénée à l'instantanéité qui fait perdre, à chaque instant, de son moment, de sa teneur, de son contenu. Mais le numérique est là et il compte bien le rester. Reste alors à parachever l'éthique, à inclure progressivement chacun, à faire respecter nos droits et à contrôler cette révolution.

Contrôle nécessaire et salvateur qui, comme les Lumières en leur temps, nous guident plus qu'ils nous aveuglent. Qui nous dit qu'il n’y a de révolution que là où il y a conscience. Et qui, à la question, Que vaut un homme ?, ne s'attache ni au passé ni aux apparences. Non. Il nous enjoint à ne pas considérer que la peine est perdue, dès lors que la cause est connue. Parce que c'est en faisant corps que nous nous enrichissons,

Parce qu’à mesure que l’éthique subsiste, l’humanité progresse, parce qu’ensemble nous construisons, aujourd'hui pour demain. Une société sans éthique est comme un jour sans lumière.